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C’est la troisième fois depuis décembre que les péruviens des provinces montent vers la capitale pour manifester leur volonté de changement. Réussiront-ils à éviter que le pays passe de « démocrature » à dictature ? « La prise de Lima » a plusieurs buts. La démission de Dina Boluarte, présidente contestée par la majorité des péruviens (1) et dont le gouvernement a montré son amateurisme dans la gestion de plusieurs dossiers, comme la dengue.
La restitution du président Pedro Castillo serait soutenue par 80% des péruviens comme préalable à toute élection (2) ; c’est en tout cas la position des rondas campesinas et d’autres organisateurs de la marche sur Lima.
Le retour temporaire à la Constitution de 1979 serait garant de la légalité pendant les travaux d’une Assemblée constituante, incluant tous les peuples originaires des différentes régions. Elle proposerait une nouvelle Constitution, rompant avec l’héritage fujimoriste et définissant un nouvel équilibre des pouvoirs, avec un fonctionnement démocratique.L’organisation rapide d’élections qui renouvellent le Congrès – ce qui suppose l’émergence de partis et de personnes représentant une véritable alternative politique.
C’est la Constitution actuelle qui a permis au Congrès de bloquer unilatéralement les réformes proposées par le gouvernement de Castillo, sans que ce dernier puisse briser le blocage par une dissolution et de nouvelles élections législatives (comme c’est possible en France par exemple).Ce sont aussi des concepts comme « incapacité morale de gouverner » qui ont permis à la droite extrême de harceler le président et d’encombrer les débats du Congrès.
Enfin, les médias, très majoritairement aux mains de la droite, ont présenté, sans preuves, le président comme aussi corrompu que ses prédécesseurs. Le piège s’est refermé sur Castillo quand il a demandé le soutien de l’armée pour réussir à gouverner.Son remplacement par sa vice-présidente a permis aux congressistes de continuer à faire leurs petites affaires, entre prises de bénéfices par les amis et soumission de l’économie aux intérêts étrangers. On comprend pourquoi les congressistes et membres du gouvernement actuel ont, dans leur immense majorité, refusé d’entendre les revendications des deux mobilisations précédentes.
Pour se justifier, ils répètent un discours repris par la plupart des médias : « les manifestants sont des terroristes ». Cette étiquette est pour les péruviens un rappel terrible des années noires, les années ’80.Personne ne veut revivre l’équivalent de Sentier Lumineux ou des escadrons de la mort, les arrestations arbitraires, les déplacements de population depuis les zones de conflit.C’est pour le pouvoir une manière de justifier la violence de ses forces de l’ordre, rétroactivement et en prévision de la prochaine Toma de Lima. L’armée montre ses chars et ses miliciens dans la capitale et aux points de contrôle de la Panaméricaine (Nord et Sud), les forces de l’ordre sont en alerte dans toutes les villes du pays.
En niant sa responsabilité, le gouvernement montre aussi qu’il ne changera pas. Les rares chefs d’Etat qui ont osé critiquer la réponse autoritaire et meurtrière aux manifestations ont été taxés de gauchistes ; les rapports de la Cour Interaméricaine des Droits de l’Homme et d’Amnesty International sont ignorés. (3) Dans ses dernières interventions publiques, Boluarte se présente comme une personne de dialogue, qui ne comprend pas les manifestations et les considère comme une attaque envers la démocratie. D’autres membres de son gouvernement font également la leçon aux manifestants…
Le gouvernement de Dina Boluarte n’est pas reconnu par plusieurs voisins : Mexique, Bolivie, Colombie, Chili, Honduras, Argentine, mais le brésilien Lula, tout en regrettant la destitution de Castillo, dialogue avec sa remplaçante dans le cadre de projets communs aux pays du cône sud.Les USA, comme d’habitude, s’assureront que leurs intérêts ne seront pas touchés, en mettant à disposition leurs conseillers militaires et leur logistique. A Lima, l’Ambassadrice, ancienne de la CIA, a rencontré le ministre de la Défense la veille de l’appel de Castillo au soutien de l’armée (qui lui a été refusé, menant à sa destitution).
Globalement, les pays développés sont plus préoccupés par la stabilité du pays, qui garantit l’accès aux richesses minières, que par la manière dont il est gouverné. Du côté des péruviens qui appellent au changement, on ne sait pas avec quelle force ils vont pouvoir se manifester cette fois.D’un côté, cette troisième Toma de Lima prouve que le mouvement social n’a pas faibli, et son intense préparation peut conduire à un succès marquant. Mais d’un autre, il doit s’adapter à des circonstances difficiles. Outre le danger (plusieurs milliers de blessés et septante morts), différentes choses peuvent freiner la participation. La crainte de la répression ; un exemple, sur les cinquante personnes envoyées par les communautés de Huilloc-Patacancha dans les manifestations précédentes, trois sont poursuivies en justice, ce qui impactera économiquement la famille et la communauté.Il faut mesurer aussi l’effort financier consenti par les plus pauvres pour se déplacer vers la capitale, difficilement reproductible, d’autant plus que le voyage prive les communautés de main d’œuvre pendant des semaines.
La perte de revenus peut être totale, car quelque 70% de l’économie est informelle, et ces travailleurs, qui ne gagnent plus rien pendant le blocage du pays, n’ont pas de syndicats capables de les soutenir financièrement sur la durée. Bien entendu, toutes les revendications ne sont pas portées par l’ensemble des péruviens, malgré la déception due à l’amateurisme de plusieurs ministres de Boluarte. Dans les classes moyennes, même ceux qui compatissent face aux situations de leurs compatriotes pauvres (4), craignent l’instabilité et ne comprennent pas l’urgence d’un changement radical. Un appel a été signé par une série de gremios, d’associations d’exportateurs, de micro-entreprises, des secteurs qui alertent sur les conséquences économiques des blocages de routes et des fermetures de commerces dans les villes concernées. Cependant, la situation change. La mobilisation bénéficie cette fois de l’expérience des précédentes. Les 46 représentants réunis dans le CNUL (Comando Nacional Unitario de Lucha) ont bien préparé la Tercera Toma. Rassemblés grâce à un accord national, les diverses associations donnent des nouvelles positives de leur mobilisation : CGTP (centrale syndicale), FTCCP (construction), CNUL (mouvements régionaux), ANP (Assemblée des Peuples), Aymaras de Puno, CUNARC (rondas campesinas), FARTAC (fédération agraire) etc.
Si le Sud a été en décembre le protagoniste principal, maintenant toutes les régions sont préparées. Des délégations du Nord sont déjà arrivées à Lima, depuis la fin de semaine, accueillies par leur famille ou des amis. Les rondas de 22 régions seront présentes. Ceux qui ne peuvent se déplacer manifesteront dans les régions, les villes moyennes, du Nord au Sud.Un exemple : des commerçants d’Arequipa, dans l’incapacité de se déplacer, fermeront les commerces en protestation contre le gouvernement.
Les consignes de non violence ont été répétées par les organisateurs de la mobilisation et par des responsables politiques, adressées autant aux forces de l’ordre qu’aux manifestants.Werner Salcedo, gouverneur de Cusco : “Basta de utilizar armas para quitar la vida de sus compatriotas. Esta vez no se tolerará que se saquen las armas para asesinar a los peruanos. Encabezará una protesta si se derrama una gota más de sangre”.Nelson Shack, contrôleur de la République : “Hemos hecho un llamado al respeto mutuo de todos los derechos humanos, no solamente de los manifestantes, sino también de aquellos que no están dispuestos a manifestarse y que no participarán en las marchas”.
Hélas, même le succès de la mobilisation ne garantit pas un impact politique à court terme, en effet, il n’y a plus de parti de gauche assez sincère, important et structuré, ni de leader reconnu, pour relayer le mouvement social et traduire les slogans en programme politique.En face, le congrès grouille toujours de petits partis prompts à s’associer, au bénéfice de leurs élus, avec le plus fort, c’est-à-dire la droite, donc Keiko Fujimori, à l’ambition intacte malgré ses casseroles.
Ces élections seraient une mauvaise nouvelle pour ceux qui se partagent les bénéfices, ils vont s’accrocher à la date légale, 2026.A tout prix ? (1) L’enquête Datum dans les différentes régions montre que son soutien le plus élevé, dans la capitale et la région de Callao, ne dépasse pas 21%. Le sud andin, où les protestations ont été les plus longues et les plus violemment réprimées, la rejette à 92%. L’IEP donne les chiffres comparables : 12% d’approbation, 80% favorables à de nouvelles élections, 81% considèrent qu’il y a eu des violations des droits humains lors des manifestations, 70% que les droits de base, droit de manifester son opinion, liberté d’expression ne sont pas protégés.(2) selon Danielle Meunier, mais source non citée.(3) La représentante d’Amnesty International, venue présenter son rapport – accablant – a été huée par des manifestants d’extrême-droite entrés dans le lieu de la conférence, sans aucune sanction(4) 20% de la population. (5) Une demande de référendum populaire atteindra bientôt les 75.000 signatures requises pour être présentée. Sources : La República, Danielle Meunier, Alain Laigneaux SUITE (24/7/2023) LA MOBILISATION CONTINUE AU PÉROU
La mobilisation continue au Pérou, il y a des manifestations prévues pour la fin de cette
semaine (28 juillet et d’autres jours).
Entretemps, ce samedi 22 jullet, des manifestants sont arrivés, surtout depuis le Sud, pour
prolonger la Toma de Lima, sans appel officiel des syndicats ou associations. Les mots
d’ordres : démission de Boluarte, fermeture du Congrès, convocation d’une assemblée
constituante. Ils ont atteint la plaza San Martín, aux accès interdit par des grilles et un cordon
policier, qui ont cédé vers 19h. Il y a eu des affrontements sur cette place ainsi que dans
plusieurs points de la capitale, avec un usage injustifié de lacrymogènes et des agressions
documentées par des médias alternatifs.
Pour ce qui est de la mobilisation de mercredi 19 juillet, la presse officielle continue à
minimiser les événements. Le sociologue et politologue Omar Coronel y répond sur le site
« La Encerrona » (lien en fin de ce résumé).
1. « Ils n’ont pas réussi à incendier Lima » ou « Ca s’est dégonflé »…
Et pourtant… il y a eu 95 mobilisations dans 24 régions, c’est-à-dire l’ensemble du Pérou, et
particulièrement forte dans certaines régions, comme Arequipa, et des secteurs nouveaux se
sont impliqués, organisés.
Comme annoncé, les organisations se sont concentrées sur leur région et ont envoyé moins de
représentants à la capitale.
Le rassemblement de plus de 21.000 manifestants à Lima est exceptionnel, rappelant ceux
contre Keiko la décennie passée ; c’est la plus grande manifestation depuis celle de juin 2021
pour Castillo.
Le nombre s’explique par la participation de plus de secteurs sociaux, pas nécessairement
coordonnés, mais en interne de mieux en mieux organisés, par exemple les universitaires.
On y trouve aussi des collectifs qui ne sont ni gauche ni droite, mais clairement contre
Boluarte.
Ils ont marché tous ensemble malgré les opinions distinctes, par exemple sur le retour de
Castillo (dont le soutien ne faiblit pas).
2. « Il n’y a pas eu de problèmes, parce que les manifestants ont été pacifiques ».
En réalité, la prudence des forces de l’ordre est due à l’attention internationale sur les droits
humains, ainsi qu’à la participation de personnes de la classe moyenne aux manifestations.
La violence policière s’était bien exercée dans des manifestations pacifiques de janvier et
février, et ce 19 juillet il y en a eu à certains endroits après 18h. Le but des autorités reste de
faire peur, de décourager
https://www.youtube.com/watch?v=tRUHOw7IvvE